Ragots et médisances :

Quelques anecdotes montrent que les guérétois avaient parfois la dent dure. Les propos retenus ici préfigurent ceux consignés quelques années plus tard par Jouhandeau dans Chaminadour, mais ces médisances se relataient sous le manteau dans toutes les petites villes de province à cette époque.

Sur un marchand épicier qui, le premier, a vendu de la bière à Guéret, et qui passait son temps à mettre en chansons les étiquettes de ses bouteilles de liqueur...
parfait amour de nance, de nance, de nancy, parfait amour de nance X.
air de la pipe à tabac.
Quand B... n'a rien à faire,
il s'amuse à fair'des chansons,
plutôt que de vendre sa bière,
et débiter ses macarons. (bis)
En vain il se casse la tête,
Apollon se moque de lui,
car sa chanson la plus parfaite
est : parfait amour de nancy (bis).
Par Quinquaud employé à la préfecture.

Si M. M... a de l'esprit, il faut bien convenir qu'il s'en sert bien bêtement (Cahier Dictionnaire p.283).
c'est de la viande à d'armagnac.
Un des derniers descendants des d'Armagnac, comte de la Marche, était d'une avarice tellement sordide et vivait si mal que lorsqu'on voulait qualifier à la boucherie de Guéret une pièce de mauvaise qualité, on disait : c'est de la viande d'armagnac (ce n'était pas un véritable d'armagnac). Monsieur l'abbé Gadou, qui a aujourd'hui (1852) 86 ans, a connu ce petit rejeton d'une grande famille. Il habitait dans la rue d'armagnac, une maison qu'on reconnaît encore à une tourelle ou poivrière et de très modeste apparence. (A 207/16 p.30 et 43).

Le Marquis de Bonneval se promenait avec son fils, sur la route de Moulins (1830 à 1835). Le fils : Papa, comment appelle-t-on ces grands arbres ? Le père : Mon fils ce sont des peupliers, c'est avec cela que l'on fait des planches de sapin (Ch. Vosniey) (Cahier dictionnaire p.8).

La famille Coudert-Lavillatte fait l'objet de railleries concernant deux générations :
Sur Monsieur Coudert-Lavillatte, ex-maire de Guéret, chargé d'acheter un St Pardoux pour l'église de cette ville.
Je voudrais mon patron, chez certain statuaire
disait un jour François Pardoux Simplart
je ne l'ai pas, monsieur, mais je puis vous le faire
non pas, dit-il, je le voudrais d'hasard
.
Par Monsieur Michelet aîné, conseiller de préfecture.

Sur le fils du précédent, Monsieur J. Coudert-Lavillatte, substitut du procureur impérial, qui avait exigé le huis-clos le plus absolu, dans une affaire de viol.
Si Coudert tout bouffi d'orgueil et de sottise
a réclamé du huis-clos la rigueur,
ne croyez pas que ce soit par pudeur :
c'était pour cacher sa bêtise
.
Par Monsieur Bataille, conseiller de préfecture (1853).

Sur Melle Rocher, maîtresse de piano, qui épousa Mr Potier, puis Mr Tourte.
Voici mon histoire, elle est courte :
Je fus Rocher, Potier, maintenant je suis Tourte.

Le 2 mai 1871, la date est précise, une dame de Paris réfugiée à Guéret, comme tant d'autres, rencontra dans sa promenade à la campagne une bande d'oies suivies de leurs nombreuses couvées. Elle s'arrêta, les regarda pendant quelques instants avec intérêt, puis, s'adressant à la villageoise qui les gardait, elle lui dit très sérieusement : dites-moi ma bonne femme, têtent-ils bien ces jolis petits oisons ?
Jugez si la villageoise dut rire au nez de la grande-dame (Cahier Dictionnaire feuille non paginée).

Conscience écologiste :

Les petits oiseaux : à différentes époques, dans le Conciliateur comme dans l'Echo de la Creuse, nous avons élevé la voix contre la destruction inintelligente des petits oiseaux, qui sont les auxiliaires naturels des agriculteurs. Notre voix a-t-elle été entendue ? Hélas, non, et nous avons prêché dans le désert... A propos du mauvais oeil, nous avons parlé des ravages acharnés que les enfants commettaient de 1812 à 1815 dans les nids d'oiseaux. Depuis cette dernière date de 1815, la destruction s'est-elle ralentie ? Nous répondrons encore, hélas ! non. Et le mal a toujours été en s'aggravant. A une époque que nous pouvons préciser -de 1812 à 1815- le marché de Guéret était toujours abondamment pourvu de paquets de petits oiseaux -bruants, verdiers, pinsons, fauvettes d'hiver, rouge gorge, bouvreuils, mésanges, moineaux, etc.- que l'on pouvait se procurer de 15 à 25 cent. la douzaine ; les brochettes et les pâtés de petits pieds ne coûtaient pas cher alors, et il suffisait de prendre un fusil et d'aller tirailler en s'amusant près d'un village ou d'une ferme pour revenir au bout d'une heure de chasse avec deux douzaines de victimes. En serait-il de même aujourd'hui ? Les enfants et les chasseurs de 1815 à 1871, ont si bien suivis les exemples donnés par leurs devanciers que nous ne voyons plus d'oiseaux sur nos marchés et que le braconnier le plus intrépide s'exposerait à courir pendant toute une journée sans qu'il rapportât le soir 3 oisillons à sa ménagère. Mais ce n'est pas là qu'est le mal : les petits oiseaux devenant plus rares de jour en jour, eux qui font une chasse si acharnée aux insectes nuisibles à l'agriculture, l'espèce menace de se perdre totalement et le nombre des insectes s'accroit en raison de la diminution de leurs ennemis. Qu'on y prenne donc garde, puisque les moineaux sont les gendarmes de nos champs, il est temps de faire appuyer les moineaux par les gendarmes de nos villes et de faire exécuter rigoureusement les règlements et ordonnances sur la chasse et la destruction des nids, si nous ne voulons pas nous exposer à mourir de faim.

Ces quelques anecdotes relatées par Jean-François BONNAFOUX ont pu vous faire sourire, elles montrent sans doute mieux qu'un long discours l'état d'esprit, la manière d'être et de vivre des guérétois au XIXème siècle.