Le 1er octobre, j'étais présent à l'appel du directeur, et chacun rejoignit sa classe avec le nouveau maître qui fit l'appel de ses nouveaux élèves, nous allions commencer une année qui allait compter dans l'histoire. Septembre 1939, les accords de Munich de 1938 étant bafoués par Hitler et ses Sbires, la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne. Nous commencions une année scolaire dans la guerre. Durant neuf mois, c'était le calme sur les lignes frontalières.
En juin 1940, les allemands lancent une rapide et puissante offensive sur la France, obligeant la population à fuir vers le sud par tous les moyens. Vers le 15 juin, par la route, par le train, automobiles, voitures à cheval chargées au maximum, défilent tant bien que mal dans la ville en direction de Limoges. L'école étant fermée, je reprend mon uniforme scout, ainsi que les "Eclaireurs" (scouts laïques) et nous nous mettons à la disposition des services de la Croix Rouge pour ravitailler et donner à boire à ces pauvres gens tassés dans les wagons. Dans les locaux des garages des Coopérateurs, la Croix Rouge installe une réserve importante d'eau, pain et charcuterie, confectionne des sandwichs que nous transportons entre le garage et les trains. Les "guides et éclaireuses" viennent nous rejoindre. Le pire fut le 18 juin, jour historique de l'appel du Général de Gaulle, l'avenue de la gare (Gambetta), le boulevard de la gare et l'avenue Pierre Leroux sont noirs de réfugiés.





Ces insignes avec un trèfle étaient cousues sur la poche gauche de la chemise et datent de l'avant guerre.

Les autobus de Mr BUFFAT et Mr TALABOT transportent ces gens à Grancher, au Préventorium qui n'est pas terminé. Nous montons les bagages sur les impériales des cars, et grimpons sur l'échelle pour aider à décharger. Ce va et vient durant jusqu'à la nuit tombante, et il était impossible de circuler en véhicule. Sur la chaussée et les larges trottoires de l'avenue Gambetta, il fallait enjamber les corps pour circuler. Je rentrais chez moi, des gens dormaient dans le couloir de la maison, et les autres dehors. C'était inimaginable... D'après les autorités, il y avait ce jour là au moins 50 000 personnes dans Guéret. Places Bonnyaud et Varillas, noires de monde. Ces pauvres gens dormaient à même le sol. Le 19 juin, très tôt le matin, les ordres furent donnés pour évacuer la ville par la route de Limoges, et si nécessaire, se cacher dans la forêt de Chabrière en cas d'attaque aérienne. Vers 10 heures, la ville était pratiquement évacuée.
11 H 45, une escadrille de bombardiers allemands (et non italiens comme il fut dit) largua sa charge de bombes sur la ville de Guéret (environ 100 morts) y compris des gens qui étaient encore aux abords de la ville.

L'activité du groupe "LYAUTEY 2ème Guéret" continua ses réunions et ses sorties, mais l'ambiance n'y était plus. Mon frère Antoine, aîné de la famille de trois enfants était de la classe 39, et de ce fait, il était déjà en caserne à Bordeaux, à la mobilisation.
Je continuai mes études dans des classes surchargées par les enfants de certains réfugiés ayant de la famille à Guéret ou dans les environs proches.



Cette insigne était cousue sur l'épaule gauche de la chemise.

A l'armistice, le nord de la France à la Loire et une langue de 50 kilomètres jusqu'à la frontière espagnole étaient occupés par les allemands. Le reste de notre pays était la zone dite libre.

En 1941, les ennemis occupèrent toute la France... Avant que cette mesure soit appliquée, le Maréchal Pétain, qui avait serré la main de Hitler à Montoire, marqua son passage à Guéret par un arrêt sur la place de la gare, monté sur une estrade, il fit une allocution. Nous avions ordre d'être présents en uniforme. La foule et nous même obligés de chanter le célèbre "Maréchal nous voilà..." le sauveur de la France qui avait condamné à mort le Général de Gaulle... !
Dix jours plus tard, branle bas de combat... nous devions rejoindre les scouts d'Aubusson, Pétain ferait un discours du balcon de l'Hôtel de ville. Les scouts, les guides et Louveteau étaient convoqués pour se rendre à Aubusson pour faire la haie d'honneur et rejoindre un château où Pétain était invité à quelques kilomètres de la ville. Lui en voiture, nous à pieds. Nous étions rôdés de ce côté là. Au cours du repas, nous étions éloignés, mais alignés. Pétain prononça un discours et reparti en voiture, et nous comme nous étions venus... Ce fût ma dernière sortie.





La même insigne mais avec un lys date du régime de Pétain, épinglée sur le devant du chapeau au-dessus de la bordure.

Par la suite, pour occuper mes patrouilleurs, je décidais de construire une passerelle sur la chaussée de l'étang de l'Age, presque vide, appartenant aux châtelains de la Villatte. Mon grand oncle habitait le vieux moulin, vivant avec son fils de 30 ans. Il possédait deux vaches, des poules et des lapins, et un grand jardin, ce qui faisait bien du travail pour gagner peu. Un pan de cette chaussée s'était effondré et jamais réparé. Il fallait que le brave tonton qui avait fait la guerre de 14-18, fasse un détour pour monter vendre ses produits à Guéret.
Rendez-vous était pris pour nous retrouver à 9 heures au moulin. Deux sapins furent abattus pour faire les longerons. Une fois en place, bien calés, nous avons coupé des branches assez grosses, qui refendues en deux servaient à recouvrir les longerons. Le dimanche suivant, nous avons fini la passerelle et posé une rampe de sécurité. L'oeuvre terminée, le tonton nous offrit une collation, tartines de pain beurré avec confiture. Très touché par notre travail, il nous embrassa tous et nous dit au revoir.
Désormais, Rémy aurait moins de peine pour aller à Guéret. Nous avions fait une B-A.



L'écusson Marche-Limousin était cousu sur la poche droite de la chemise Scout.

Cet exploit fut le dernier. En mars 1942, je me retirais du scoutisme, pour apprendre le métier de prothésiste dentaire, chez le Docteur Lagrange, qui par la suite me donna l'occasion de bien connaître Pierre BOURDAN, que j'allais chercher en voiture au train de nuit, à la Souterraine, chaque fois qu'il venait en Creuse. La maison du Docteur Lagrange était la "tanière" de Pierre BOURDAN et Jean OBERLE qui venait plus rarement.
Ceci est une autre histoire.